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Legs et dons aux communes : attention aux cadeaux empoisonnés

La plupart du temps, la survenue d’un don ou d’un legs au bénéfice d’une commune est un véritable don du ciel. Il convient toutefois, avant d’accepter toute libéralité, de bien examiner la nature du bien légué ainsi que les conditions et charges qui peuvent y être associées. Décryptage.

« L’acceptation d’un don ou d’un legs par le conseil municipal est définitive »

Il arrive parfois que la chance arrive sans prévenir. Fin avril, un petit village du Morbihan de 800 âmes a hérité de la coquette somme de 800 000 €, soit près d’une fois et demie son budget de fonctionnement annuel. La commune avait été désignée comme légataire universel par une vieille dame décédée en novembre dernier. Celle-ci possédait des terrains agricoles, une maison dans les Vosges et un joli matelas d’épargne bancaire.
L’histoire a fait le tour des médias régionaux et nationaux. Ce type d’événement -certes peu courant- survient généralement lorsqu’une personne sans descendance disparaît. Souvent, les fondations et associations reconnues d’intérêt public (lutte contre le cancer, protection des animaux…) sont les premières à bénéficier de ce type de libéralités.
Mais les communes peuvent aussi faire partie des légataires. Auquel cas elles sont entièrement exonérées de droits de mutation (article 794 1° du Code général des impôts).
Le Code général des collectivités territoriales autorise les communes à accepter (ou à refuser) les dons et legs. Il suffit que le conseil municipal statue (article L.2242-1 du CGCT) car c’est lui qui a compétence en la matière. Notons que depuis la loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, il n’a plus à solliciter d’autorisation préfectorale. « Le conseil municipal peut déléguer son pouvoir au maire (article L.2122-22 du CGCT), précise Me Clément Robillard, du cabinet Robillard avocats. Celui-ci peut ainsi prendre un arrêté sans passer par la case délibération. Cette procédure permet de gagner du temps lorsque la situation n’appelle pas de débat. Mais pour cela, il faut que le don ou le legs ne soit pas grevé de charges ou de conditions. » Ajoutons que le maire peut décider d’accepter la libéralité à titre provisoire (article L. 2242-4).

Dans ce cas , la délibération du conseil municipal confirme l’acceptation avec effet rétroactif.

Attention aux clauses
Quoi qu’il en soit, l’acceptation par le conseil municipal est définitive. Il convient donc d’examiner avec attention les clauses du testament. Car un legs, tout comme une donation, peut être accompagné d’un certains nombre de conditions que la commune sera tenue d’exécuter en cas d’acceptation (articles 953 et suivants et article 1046 du Code civil). Il peut s’agir, par exemple, de l’obligation d’entretenir la tombe du donateur, de faire construire une crèche, de rénover la place du village, etc. « L’imagination n’a pas de limites en la matière », constate Me Marc Maggioli, notaire à Saint-Etienne et chargé de communication à la Chambre des notaires de la Loire.
D’une manière générale, les libéralités faites aux communes doivent respecter deux principes : le principe de légalité et le principe de spécialité. En clair, une mairie ne peut accepter une libéralité qui l’amènerait à contrevenir à la loi, ni de libéralité grevée de charges cultuelles (faire célébrer une messe par exemple). La commune ne peut pas davantage accepter un don ou un legs comportant des charges ou conditions dont l’exécution la conduirait à sortir de ses attributions (faire construire un lycée par exemple).
Une mairie ne peut s’exonérer de l’exécution d’une charge qu’au terme d’une procédure de révision judiciaire (articles 900-2 à 900-8 du Code civil). Celle-ci suppose que, par suite d’un changement de circonstances, l’exécution de la charge ou condition soit devenue extrêmement difficile ou sérieusement dommageable. Le juge peut alors autoriser la modification de la charge voire aller jusqu’à la vente du bien faisant l’objet de la libéralité. Attention : la jurisprudence précise clairement que la commune ne saurait se contenter d’un accord amiable avec les héritiers du donateur…

« Une mairie ne peut s’exonérer de l’exécution d’une charge qu’au terme d’une procédure de révision judiciaire »

Selon la loi, une révision de charge nécessite que quatre conditions soient réunies. Tout d’abord, elle ne peut intervenir que dix ans au minimum après la mort du donateur ou de la précédente révision. Ensuite, l’exécution de la charge doit être devenue trop lourde pour la commune. Cette lourdeur doit être liée à un changement de circonstances (évolution du contexte économique, juridique, social…). Enfin, la commune doit pouvoir justifier des diligences qu’elle a faites afin d’exécuter ses obligations.

Solliciter des avis
S’il convient d’être prudent quant aux charges et conditions qui peuvent assortir un don ou un legs, il faut être tout aussi attentif à la nature de la libéralité elle-même. « S’il s’agit d’un bien de nature immobilière (terrain, maison, appartement…), il faut bien se poser la question de savoir quel est son rapport et si ce rapport est pérenne, avertit Marc Maggioli. Dans ce cas, il peut être judicieux de solliciter l’avis de France Domaine ou d’un expert immobilier. Et la commune a tout intérêt à refuser le legs si le bien nécessite des travaux trop importants ou si les parties communes sont très dégradées. » La prudence est de mise également si la libéralité porte sur des biens de nature mobilière (argent, produits financiers, meubles, œuvres d’art…). « Un livret A ne suscite pas les mêmes inquiétudes que des actions grecques », illustre Marc Maggioli. Dans ce cas, l’avis d’un gestionnaire de patrimoine ou d’un expert financier peut s’avérer fort utile.
Toutes ces précautions, Hervé Béal n’en a pas vraiment eu besoin. Le maire de la commune d’Usson-en-Forez a reçu il y a un an et demi un courrier du notaire faisant de sa commune le légataire universel d’un héritage estimé à près de 700 000 €.

La commune d’Usson-en-Forez a finalement hérité d’un chalet, de quatre appartements à Saint-Etienne et d’une somme de 270 000 €. Le tout sans aucune condition.
Hervé Béal

« Il s’agissait d’un testament olographe (écrit à la main, ndlr), précise l’édile. Cela a nécessité toute une procédure pour le faire valider par le tribunal de grande instance. Nous avons fait appel à un avocat. Le tout nous a pris un peu de temps, mais cela valait le coup. » La commune a finalement hérité d’un chalet, de quatre appartements à Saint-Etienne et d’une somme de 270 000 €.
Le tout sans aucune condition. « Il n’y avait pas de dettes ni d’obligation farfelue, c’était l’hypothèse la plus favorable », se réjouit Hervé Béal. Cet héritage a déjà permis à la commune de rénover la place de l’église (pour un peu plus de 100 000 €). « Le reste entrera dans les projets globaux de la commune, ajoute l’édile. Tout cela nous a permis de conforter notre bonne situation financière et d’améliorer notre capacité de financement. »
En hommage, la mairie envisage de poser une plaque au nom du donateur.

Yann Petiteaux

Quelques précédents
Le petit village sarthois de Rouez-en-Champagne a hérité, en 2008, d’une fortune de 37 millions d’euros léguée par un riche propriétaire qui souhaitait faire construire une maison de retraite.
Plus proche de nous, la ville du Puy-en-Velay (Haute-Loire) a acté, en juillet 2012, un legs de près de 500 000 euros. Pendant la guerre, la donatrice avait échappé à la déportation grâce à l’aide d’habitants de la commune. Récemment, en janvier 2014, c’est un ancien coiffeur devenu millionnaire en bourse qui a légué 2,5 millions d’euros à la commune normande de Saint-Germain-de-la-Coudre (815 habitants).

Quid des héritiers légaux ?
À compter de l’ouverture du testament, les héritiers légaux du donateur ont six mois pour formuler leurs réclamations auprès du ministre de l’Intérieur. Si l’opposition est formulée dans les délais, le ministère en informe le maire.
L’autorisation d’accepter est alors donnée par décret en Conseil d’Etat. Il est donc conseillé d’attendre l’expiration du délai de six mois avant de faire accepter définitivement un legs.

Les principaux textes de loi
Article L.2242-1 du Code général des collectivités territoriales : « Le conseil municipal statue sur l’acceptation des dons et legs faits à la commune. »
Article L.2122-22 9°du Code général des collectivités territoriales : « Le maire peut, en outre, par délégation du conseil municipal, être chargé, en tout ou partie, et pour la durée de son mandat, d’accepter les dons et legs qui ne sont grevés ni de conditions ni de charges. »
Article 794 1° du Code général des impôts : « Les régions, les départements, les communes, leurs établissements publics et les établissements publics hospitaliers sont exonérés des droits de mutation à titre gratuit sur les biens qui leur adviennent par donation ou succession affectés à des activités non lucratives. »

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